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lundi 18 janvier 2016
samedi 25 janvier 2014
"Patrick Charpentier, peintre" par Raymond OILLET
Patrick Charpentier
est, de tous les peintres que je connais, celui qui se réfère le moins à une
culture, fût-elle ‘contemporaine’ - lui, c'est sûr, il a 'oublié', voire même
'désappris' - pour s'initier lui-même à une expérience, une initiation dans ce
cas. Ce n’est pas aisé, avouons-le, de faire du figuratif, du paysage en
particulier, et comme il a choisi de le faire ! Très difficile même de délivrer
une image neuve de ce réel que tout le monde croit connaître ou reconnaître, et
de plus, une émotion neuve naissant précisément d’une perception inattendue,
imprévue, c’est-à-dire remodelée, requalifiée toujours à partir de ces
sensations qui nous semblent identiques chez tous. Charpentier,
donc, ne 'copie' pas, c'est ce qu'il dit : il enregistre, mais c’est à la fois
impression, sentiment, souvenir comme on dit habituellement, mais qui n'est pas
seulement une image, le rapport (ou le report) d'une sensation oculaire. Ni
pointillisme, ni pixelisme : ce n'est pas une opération de pure physique. Par exemple : de la photographie, il s'en sert comme de ses
propres esquisses, en allant sur le 'motif', à la fois crayonner, dessiner, et
photographier... Mais pour atteindre une sorte de réalisme renouvelé, disons
plutôt une figuration qui est la présentation inédite de tout ce que nous
croyons tenir 'naturellement' sous nos yeux, aux antipodes d'une re-présentation
stricto sensu. Mais devant sa toile, il va se donner d’autres
moyens - des gestes inventés d'un savoir-faire bien difficile à acquérir,
des outils diversifiés d'un apprentissage laborieux, longtemps tâtonnant - de
créer une seconde fois le paysage donné.
Depuis toujours, création est œuvre
de poésie et inversement : mots synonymes. L’artiste, le peintre en
particulier, ne re-présente pas : il prolonge, parachève, l'opération
'miraculeuse' de la venue d'un monde, depuis le fond obscur, jusqu’ici, c’est-à-dire
à dimension d'humanité. Il y a à voir - tout le monde le sait - à concevoir et à
tracer. L’artiste véritable trace le dessin de cette création qui répète le
monde et le réalise enfin à dimension d'humanité, de partage de l'intelligence
et des regards d'homme. Il célèbre le monde, ce monde une nouvelle
fois présenté si son geste répond à la mystérieuse intention d'une
correspondance plus originelle qui a cherché à s'accomplir. C'est beau parce
que c'est vrai. Les arbres de Patrick Charpentier, sa prédilection, s'estompent
un peu au regard, mais pas dans une brume ou une poussière. Ni excès d'ombre ou
excès de lumière. Le travail sur le vert, plus foncé lorsqu'il tire sur le noir
d'encre, plus clair lorsqu'il vague à un gris vaporeux, bouleverse nos
habitudes. Les traits restés précis du dessin, parce qu'on reconnaît
toujours... un arbre, une tige même d'herbe, ces traits pourtant se déréalisent
par l'usage de couleurs insolites, tantôt proches du visible avéré, et tantôt éloignées,
oniriques, fondant l'image en un unique masque 'impressionniste' plus
convaincant. Mais ce n'est pas l'intelligence seule qui a été convoquée
à cette nouvelle révélation - on ne démontre rien - c'est la sensibilité
profonde, émotion et mémoire, pour une neuve découverte infiniment plus émouvante.
On a même le sentiment d’une tension inédite qui viserait à l'abstraction, pour
s'approcher peut-être d'une émotion encore plus forte, plus intérieure, mais
sans la vouloir comme telle. Le peintre-poète ne veut pas se renier artisan,
ouvrier, et il propose ouvertement son tableau comme "cette surface
plane..." Mais parce qu'il a convoqué réalité et vérité, sans trahir l'une
par l'autre, ou l'une pour le triomphe de l'autre, il parvient à montrer, après
tant d'autres peut-être, l'image univers qui me parle du monde et de moi, à la
fois, tous deux réunis en univers - et il faut bien entendre ce que signifie ce
mot univers !
Il y a encore des
peintres parce que cet art peut, toujours, dire plus et mieux que la photo, et
même, évidemment, la photo prise avec l’œil du peintre ou du poète ! Avant de réussir
cette dernière grande ‘forêt’ là sous nos yeux (photo) Charpentier a travaillé
sur des horizons de forêts, un grand alignement horizontal, lointaines
silhouettes d’arbres qui se dessinent dans un fond presque monocoloré, beige,
ocre, et noir ; repris encore maintenant avec cette lune blanche par-dessus,
pour en arriver à cette forêt épaisse trouée de lumière toutefois. Ecoulements,
métamorphoses par intégration, symbiose, mûrissement, par étapes : on ne dira pas
évolution puisqu'il s'agit de mutations mais c'est un procès sans commencement
ni fin dont la peinture figure un instant de vie - sans figer le mouvement.
Charpentier a retrouvé le chemin de création impressionniste. On avait constaté
que la photo était si précise, si apte à reproduire la nature que le peintre en
était finalement quitte à ranger ses outils. Et en même temps, presque tout de
suite, on a retrouvé le sens, la sainteté du réel comme Chardin le concevait : ‘avec
du sentiment’, des ‘touches juxtaposées’… Lorsque j’ai vu la première fois des
arbres de Charpentier, cette silencieuse éloquence m’a convaincu dans le temps,
si court pourtant, d’une longue aspiration du regard enchanté. En un tel
enchantement, on a la sensation d'un temps qui s'étire, mais c'est en réalité
un présent qui creuse vers l'indicible fond des origines. Il y a des détails de
cet ouvrage qui m’ont un instant désappointé. Je trouve
le plus souvent un peu importune cette présence de matériaux si manifestement étrangers
(je veux dire ’visiblement’ ajoutés) à l’alchimie plasticienne. Dans certaines œuvres,
elle alourdit trop le travail pictural et obscurcit plutôt la vision. Il n’y a
plus ni fusion ni intégration et c’est un maniérisme très fréquent de nos
jours. Chez Charpentier, c’est la sciure, de minuscules copeaux de bois dans
ces troncs d’arbres, qui m’ont médusé : d'un ton juste, ils favorisaient l’accord
des couleurs qui évoquaient pour ainsi dire totalement la forêt, c'est à dire
encore la terre où elle pousse, et ce ciel où viennent se marier toutes les
couleurs terriennes projetées du jaillissement de cet arbre-là et de tous ceux
qui se devinent autour… Le grand art évoque la totalité par la précision du détail,
gardé cette fois plus visible, décelable : en est-il un autre ? On a parfois
comparé la forêt à une mer et effectivement je 'vaguais' moi-même à ce rythme,
sereinement. Éprouver que ces tableaux étaient perfection, dans un jardin où s’est
produite alors notre première rencontre, c'était un ‘miracle vrai’. Vous savez
que ça ne se produit pas tous les jours et il m’a fallu, à moi, quelque temps
pour réunir des mots qui signalent la pleine réussite du geste.
Maintenant ces grandes
forêts trouées de lumière ; il y a cet horizon dont toutes les couleurs sont
rehaussées d'un surprenant travail sur papier : grattage, déchirure,
froissement ou arrachement de couches successivement collées de papier, carton,
peinture, de coulures étranges et peintures appliquées, mélangées pour cet
effet-là de rendu poétique. Le dernier mot ? Sans doute cette lumière qui anime
toute cette forêt-là, une impression photographique pourrais-je accorder à qui
voudrait l'éprouver ainsi, et qui se voit grâce à une savante collection de
taches... Ces fameuses taches ! Ni tachisme ni pointillisme pourtant, n’y allez
pas de votre recette comparative pour découvrir ‘la’ recette du peintre, il n'y
a là aucun souvenir d'école ! Je veux bien y aller moi d'une comparaison avec
la méthode scientifique par essais et erreurs, tous les pas d’une recherche
libre, aventureuse - il y faut bien là aussi audace et talent, et chance peut-être
- mais par succession de gestes et coups d’œil obéissant tous à l’idée de ‘dire’
ce réel familier avec un langage neuf et une nouvelle fois bouleversant,
capable de nous frapper de l’impression la plus inattendue et de susciter la
plus troublante émotion. Cette image ressemblante, je l'admets, avec votre
cliché-souvenir, c'est une collection de taches et de traits "en un
certain ordre assemblés" (vous vous souvenez qui a dit ça ?) et c'est un
art qui trouve ici son langage, parfaitement compréhensible, et son éloquence
propre qui ne doit rien aux expériences passées, à la mémoire, aux catégories
habituelles. Je dis plus fort : une vision ! Rencontre avec l’inconnu, l’invu,
le vu ? Il n’importe plus de le dire. La ‘vérité en peinture’ est ici à tel
point accessible, offerte, qu'on est bien en droit de ne plus rien juger,
simplement jouir plutôt de ce qui est devenu plus réel que le réel, et devenu
le seul réel à mesure, outre-mesure plutôt, de poésie humaine.
Raymond OILLET
A LIRE
lire Raymond Oillet qui me fait encore l'honneur d'écrire sur ma peinture (suite à l'exposition à la médiathèque Créanto à Créhange)
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