samedi 25 janvier 2014

"Patrick Charpentier, peintre" par Raymond OILLET


Patrick Charpentier est, de tous les peintres que je connais, celui qui se réfère le moins à une culture, fût-elle ‘contemporaine’ - lui, c'est sûr, il a 'oublié', voire même 'désappris' - pour s'initier lui-même à une expérience, une initiation dans ce cas. Ce n’est pas aisé, avouons-le, de faire du figuratif, du paysage en particulier, et comme il a choisi de le faire ! Très difficile même de délivrer une image neuve de ce réel que tout le monde croit connaître ou reconnaître, et de plus, une émotion neuve naissant précisément d’une perception inattendue, imprévue, c’est-à-dire remodelée, requalifiée toujours à partir de ces sensations qui nous semblent identiques chez tous. Charpentier, donc, ne 'copie' pas, c'est ce qu'il dit : il enregistre, mais c’est à la fois impression, sentiment, souvenir comme on dit habituellement, mais qui n'est pas seulement une image, le rapport (ou le report) d'une sensation oculaire. Ni pointillisme, ni pixelisme : ce n'est pas une opération de pure physique. Par exemple : de la photographie, il s'en sert comme de ses propres esquisses, en allant sur le 'motif', à la fois crayonner, dessiner, et photographier... Mais pour atteindre une sorte de réalisme renouvelé, disons plutôt une figuration qui est la présentation inédite de tout ce que nous croyons tenir 'naturellement' sous nos yeux, aux antipodes d'une re-présentation stricto sensu. Mais devant sa toile, il va se donner d’autres moyens - des gestes inventés d'un savoir-faire bien difficile à acquérir, des outils diversifiés d'un apprentissage laborieux, longtemps tâtonnant - de créer une seconde fois le paysage donné.

Depuis toujours, création est œuvre de poésie et inversement : mots synonymes. L’artiste, le peintre en particulier, ne re-présente pas : il prolonge, parachève, l'opération 'miraculeuse' de la venue d'un monde, depuis le fond obscur, jusqu’ici, c’est-à-dire à dimension d'humanité. Il y a à voir - tout le monde le sait - à concevoir et à tracer. L’artiste véritable trace le dessin de cette création qui répète le monde et le réalise enfin à dimension d'humanité, de partage de l'intelligence et des regards d'homme. Il célèbre le monde, ce monde une nouvelle fois présenté si son geste répond à la mystérieuse intention d'une correspondance plus originelle qui a cherché à s'accomplir. C'est beau parce que c'est vrai. Les arbres de Patrick Charpentier, sa prédilection, s'estompent un peu au regard, mais pas dans une brume ou une poussière. Ni excès d'ombre ou excès de lumière. Le travail sur le vert, plus foncé lorsqu'il tire sur le noir d'encre, plus clair lorsqu'il vague à un gris vaporeux, bouleverse nos habitudes. Les traits restés précis du dessin, parce qu'on reconnaît toujours... un arbre, une tige même d'herbe, ces traits pourtant se déréalisent par l'usage de couleurs insolites, tantôt proches du visible avéré, et tantôt éloignées, oniriques, fondant l'image en un unique masque 'impressionniste' plus convaincant. Mais ce n'est pas l'intelligence seule qui a été convoquée à cette nouvelle révélation - on ne démontre rien - c'est la sensibilité profonde, émotion et mémoire, pour une neuve découverte infiniment plus émouvante. On a même le sentiment d’une tension inédite qui viserait à l'abstraction, pour s'approcher peut-être d'une émotion encore plus forte, plus intérieure, mais sans la vouloir comme telle. Le peintre-poète ne veut pas se renier artisan, ouvrier, et il propose ouvertement son tableau comme "cette surface plane..." Mais parce qu'il a convoqué réalité et vérité, sans trahir l'une par l'autre, ou l'une pour le triomphe de l'autre, il parvient à montrer, après tant d'autres peut-être, l'image univers qui me parle du monde et de moi, à la fois, tous deux réunis en univers - et il faut bien entendre ce que signifie ce mot univers !

Il y a encore des peintres parce que cet art peut, toujours, dire plus et mieux que la photo, et même, évidemment, la photo prise avec l’œil du peintre ou du poète ! Avant de réussir cette dernière grande ‘forêt’ là sous nos yeux (photo) Charpentier a travaillé sur des horizons de forêts, un grand alignement horizontal, lointaines silhouettes d’arbres qui se dessinent dans un fond presque monocoloré, beige, ocre, et noir ; repris encore maintenant avec cette lune blanche par-dessus, pour en arriver à cette forêt épaisse trouée de lumière toutefois. Ecoulements, métamorphoses par intégration, symbiose, mûrissement, par étapes : on ne dira pas évolution puisqu'il s'agit de mutations mais c'est un procès sans commencement ni fin dont la peinture figure un instant de vie - sans figer le mouvement. Charpentier a retrouvé le chemin de création impressionniste. On avait constaté que la photo était si précise, si apte à reproduire la nature que le peintre en était finalement quitte à ranger ses outils. Et en même temps, presque tout de suite, on a retrouvé le sens, la sainteté du réel comme Chardin le concevait : ‘avec du sentiment’, des ‘touches juxtaposées’… Lorsque j’ai vu la première fois des arbres de Charpentier, cette silencieuse éloquence m’a convaincu dans le temps, si court pourtant, d’une longue aspiration du regard enchanté. En un tel enchantement, on a la sensation d'un temps qui s'étire, mais c'est en réalité un présent qui creuse vers l'indicible fond des origines. Il y a des détails de cet ouvrage qui m’ont un instant désappointé. Je trouve le plus souvent un peu importune cette présence de matériaux si manifestement étrangers (je veux dire ’visiblement’ ajoutés) à l’alchimie plasticienne. Dans certaines œuvres, elle alourdit trop le travail pictural et obscurcit plutôt la vision. Il n’y a plus ni fusion ni intégration et c’est un maniérisme très fréquent de nos jours. Chez Charpentier, c’est la sciure, de minuscules copeaux de bois dans ces troncs d’arbres, qui m’ont médusé : d'un ton juste, ils favorisaient l’accord des couleurs qui évoquaient pour ainsi dire totalement la forêt, c'est à dire encore la terre où elle pousse, et ce ciel où viennent se marier toutes les couleurs terriennes projetées du jaillissement de cet arbre-là et de tous ceux qui se devinent autour… Le grand art évoque la totalité par la précision du détail, gardé cette fois plus visible, décelable : en est-il un autre ? On a parfois comparé la forêt à une mer et effectivement je 'vaguais' moi-même à ce rythme, sereinement. Éprouver que ces tableaux étaient perfection, dans un jardin où s’est produite alors notre première rencontre, c'était un ‘miracle vrai’. Vous savez que ça ne se produit pas tous les jours et il m’a fallu, à moi, quelque temps pour réunir des mots qui signalent la pleine réussite du geste.

Maintenant ces grandes forêts trouées de lumière ; il y a cet horizon dont toutes les couleurs sont rehaussées d'un surprenant travail sur papier : grattage, déchirure, froissement ou arrachement de couches successivement collées de papier, carton, peinture, de coulures étranges et peintures appliquées, mélangées pour cet effet-là de rendu poétique. Le dernier mot ? Sans doute cette lumière qui anime toute cette forêt-là, une impression photographique pourrais-je accorder à qui voudrait l'éprouver ainsi, et qui se voit grâce à une savante collection de taches... Ces fameuses taches ! Ni tachisme ni pointillisme pourtant, n’y allez pas de votre recette comparative pour découvrir ‘la’ recette du peintre, il n'y a là aucun souvenir d'école ! Je veux bien y aller moi d'une comparaison avec la méthode scientifique par essais et erreurs, tous les pas d’une recherche libre, aventureuse - il y faut bien là aussi audace et talent, et chance peut-être - mais par succession de gestes et coups d’œil obéissant tous à l’idée de ‘dire’ ce réel familier avec un langage neuf et une nouvelle fois bouleversant, capable de nous frapper de l’impression la plus inattendue et de susciter la plus troublante émotion. Cette image ressemblante, je l'admets, avec votre cliché-souvenir, c'est une collection de taches et de traits "en un certain ordre assemblés" (vous vous souvenez qui a dit ça ?) et c'est un art qui trouve ici son langage, parfaitement compréhensible, et son éloquence propre qui ne doit rien aux expériences passées, à la mémoire, aux catégories habituelles. Je dis plus fort : une vision ! Rencontre avec l’inconnu, l’invu, le vu ? Il n’importe plus de le dire. La ‘vérité en peinture’ est ici à tel point accessible, offerte, qu'on est bien en droit de ne plus rien juger, simplement jouir plutôt de ce qui est devenu plus réel que le réel, et devenu le seul réel à mesure, outre-mesure plutôt, de poésie humaine.


Raymond OILLET

2012

VOIRPEINTURES

SOUS-BOIS 2009-2012

VOIRPEINTURES

A LIRE

lire Raymond Oillet qui me fait encore l'honneur d'écrire sur ma peinture (suite à l'exposition à la médiathèque Créanto à Créhange)


2011

VOIRPEINTURES

2010

VOIRPEINTURES

L'atelier par Raymond Oillet


2009

VOIRPEINTURES